Droit dans le mur… Mais vite, très vite.

Cela fait un bout de temps que je n’alimente ce blog qu’au gré de mes humeurs. Et comme je m’assagis avec le temps, forcément, je publie de moins en moins. Mais là je suis indigné. Indigné par ce que l’on fait de l’Île de la Réunion. Alors, je fais une petite mise au point. Si tu ne sais pas où est la Réunion (non, ce n’est pas aux Antilles), clique là.


L’Île de la Réunion c’est le pays d’une partie de mes ancêtres. De la plus grande partie de ma famille. Cela fait 10 générations qu’il y a des Barrabé sur l’Île de la Réunion. La Réunion qui a gagné, oui, gagné, son statut de département. Souvent abandonnée, mais toujours fidèle. Espérant la continuité territoriale, sans jamais l’avoir connue. La Réunion c’est 3,5 fois plus petit que la Corse. Et 2,5 fois plus peuplé. Et la Réunion, elle, est fière d’être française.

L’Île de la Réunion c’est un chômage bien plus élevé qu’en Métropole. Par bien plus élevé, j’entends sur certains créneaux jusqu’à deux fois supérieur. Des salaires très bas. Bien plus bas que nulle part ailleurs en Métropole. Comment en est-on arrivé là? Personne n’est d’accord bien sûr. Ni les hommes politiques, ni les patrons de l’Île, ni aucune des instances, associations ou organismes qui sont parties prenantes. Mais tout le monde se plaint, tout le monde demande des solutions. Cependant quelques facteurs, typiquement endémiques, auraient dû attirer leur  l’attention.

  • Premier facteur, une date, le 27 juin 2001. La fin du service militaire.
  • Second facteur: les études supérieures se sont allongées dans l’Île; il y a 20 ans il fallait aller en Métropole pour les suivre dès le niveau Bac+2. Résultat: plus 74% d’étudiants en 20 ans.
  • Troisième facteur: plus de transmission du foncier non bâti dans les classes moyennes. Il n’y en a simplement plus à transmettre. La dernière génération en ayant massivement bénéficié, c’est la génération des enfants nés dans les années 60.
  • Quatrième facteur: l’augmentation de la population sur la même période. Soit 200.000 jeunes de plus arrivant sur le marché du travail.

Alors. Jusque dans les années 80, le jeune réunionnais sans avenir prédestiné (n’étant ni fils de famille, d’entrepreneur, ni père, ni déjà employé), la jeune réunionnaise de même (ni pré-mariée, ni mère, ni déjà employée elle aussi), et un tant soit peu studieux, quittaient l’Île pour poursuivre leurs études. D’autres garçons partaient pour effectuer leur service militaire. Certains partaient même faire leurs études, puis effectuaient leur service militaire ensuite, sur place. Bien sûr, une fois en Métropole, une grande partie d’entre eux rencontraient l’âme soeur, et ne rentraient pas. Pas tout de suite en tout cas. Ils trouvaient un emploi. Fondaient une famille. D’autres, tentaient et réussissaient des concours administratifs, depuis la Réunion, et démarraient leur carrière en Métropole. Grossissant ainsi le fort contingent de domiens des fonctions publiques. Pour souvent ne revenir qu’à leur retraite. Voire ne pas revenir du tout.

Pour ceux qui restaient, la famille leur permettait de construire une maison, sur un terrain qui était souvent transmis. Par don familial, héritage. Ou sur une partie du terrain familial, devenu constructible par le jeu des évolutions de plans d’occupations des sols. Générant ainsi un très faible coût du foncier. Faible coût qui mécaniquement justifiait l’acceptation de faibles salaires. Faibles salaires qui ont permis d’accélérer une économie délicate, car essentiellement endémique.

Autre paramètre, les salaires très élevés des fonctionnaires en local (bien plus qu’en métropole), par le jeu de primes (vie chère, arrivée, départ, déménagement…). Créant une richesse artificielle, totalement subventionnée. Et une classe sociale à deux vitesses. Mais ce n’est pas le propos ici, bien que cela en soit un facteur marginal.

Tout comme dans les années 80 encore, les nombreuses lois de défiscalisation, permettant aux classes moyennes et supérieures ayant encore du foncier disponible, de s’enrichir, et donc de partiellement ré-injecter cette richesse encore subventionnée dans l’économie. Et de devenir de plus en plus riches. Et de fausser encore un peu plus cette économie fragile et endémique.

Cette injection massive de subventions a créé une classe de nouveaux riches (immobilier, commerce), bien moins discrets que les anciennes fortunes de l’Île, nouveaux riches affichant clairement leurs avoirs dans les rues et les magazines « people » locaux. Quand ils ne les possèdent pas.

Et enfin, la loi sur la répartition des richesses entre caisses de retraite « riches » (Réunion par exemple) et « pauvres » (Côte d’Azur), amenant la CRR à financer quasiment gratuitement l’accession à la propriété pour ne pas avoir à reverser ses surplus à des caisses de retraite moins bien loties. Au même moment que les lois de défiscalisation immobilières. Curieuse coïncidence qui par effet de levier a encore accéléré la réduction du foncier, et l’augmentation artificielle de sa valeur.

Pour clôturer le chapitre foncier, la création d’un parc national a fait disparaître les seuls vecteurs de croissance foncière et agricole possible. Pour la gloire de quelques nantis, économiques ou politiques. Un peu comme si sur la Côte d’Azur, Grasse et tous ce qui l’entoure, jusqu’au sommet des montagnes n’avait jamais pu être construit. Ah oui. Et un slogan. « Nou lé pas plusse, nou lé pas moin ». Une bétise crasse, politico-électorale, qui enferre encore plus le réunionnais dans l’idée que l’avenir de sa jeunesse est dans l’Île. Et que le pouvoir central, l’État providence et les collectivités territoriales se doivent de l’aider.

Que se passe-t-il maintenant?

  • Plus de service militaire: les jeunes ne quittent plus l’Île.
  • Études possibles dans l’Île jusqu’à Bac +5, les étudiants ne quittent plus l’Île.
  • Plus de foncier disponible gratuitement, et même plus de foncier disponible tout court, alors les prix flambent, au moment où il est le plus nécessaire, les jeunes ne peuvent plus devenir propriétaires, dans une culture quasi universelle de propriété de l’habitation principale.
  • De moins en moins de subventions injectées dans l’économie, car les salaires des fonctionnaires se réajustent, les lois de défiscalisation sont de moins en moins favorables, et les prêts gratuits sont terminés. Cette baisse, voire disparition, des subventions ralentit l’économie. La crise mondiale l’enterre.
  • Des jeunes de plus en plus nombreux, avec un taux de fertilité hors normes.
  • Les parents vivent de plus en plus vieux, ne transférant donc plus leur patrimoine.
  • Les réunionnais ont pris l’habitude, surtout les jeunes générations, de consommer plus, beaucoup plus, et surtout « métropolitain », donc bien plus cher, faisant ainsi disparaître petit à petit les produits locaux, ainsi que les producteurs, déjà réduits par la cession du foncier qu’ils possédaient.
  • Une richesse de plus en plus inaccessible, qui est de plus en plus affichée dans les rues et dans les médias locaux.

Bien sûr, dans les départements métropolitains, ces jeunes seraient partis vers les grands bassins d’emploi. Vers Paris ou les grandes capitales régionales. Comme le font les jeunes provinciaux. Mais c’est impossible pour les jeunes réunionnais. La puissance d’intégration que constituaient des années d’études, le service militaire ou un conjoint local, ne sont plus. Les coûts de transport et d’installation, plus ou moins pris en charge par les collectivités ou l’État, ne sont plus. Et l’envie, qui n’existait déjà pas de quitter l’Île, mais qui était forcée (conscription, cursus), n’existe pas plus maintenant. Pire: la solidarité familiale joue un rôle vicié laissant imaginer au jeune qu’il peut vivre en restant dans l’Île, résidant chez ses parents.

Pas d’emplois, pas de logements, des salaires insuffisants pour acquérir ce qui est disponible, des centaines de milliers de jeunes sans avenir, sans héritage ni patrimoine disponible. Une vie quotidienne de plus en plus chère. Et l’affichage d’une insolente richesse par les classes les plus riches.

L’actualité? Outre les cyclones de plus en plus violents, et le risque de tsunami? Une augmentation de la violence. Une perte de valeurs, de repères. Dans toute la population. Une paupérisation galopante. Le retour de bidonvilles disparus depuis des décennies. Les maux chroniques de la pauvreté: l’obsésité, l’analphabétisme, la sur-natalité… Et pour le pouvoir, les élus, appuyés par les acteurs économiques, continuer de leurrer les réunionnais avec de minuscules carottes telles les contrats aidés, la liste Lurel… Ni la dernière idiotie en date, celle de constituer une assemblée législative réunionnaise, qui comme ailleurs (Corse, Nouvelle-Calédonie) rajouterait une couche d’absorption du peu de richesse créée, surtout par perception directe de taxes, sans la redistribuer massivement comme cela pourrait être nécessaire.

Et je n’ai jamais vu depuis 20 ans quiconque faire cette analyse. Corréler tous ces faits. Suis-je le seul à les remarquer? Combien de temps cela va-t-il durer? Je vous laisse imaginer l’avenir. Je ne propose pas de solutions. Même si j’en ai plusieurs en tête, qui ont fonctionné pour d’autres régions. Je pose juste un constat. Étayé ce me semble.

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Maître Zen est un blog de Patrick Barrabé


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1 Response to "Droit dans le mur… Mais vite, très vite."

  • Fred C. says:
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